L’océan couvre plus de 70 % de la surface de notre planète bleue. Source de vie, fournissant plus de 20 % des protéines animales consommées dans le monde (21 kg par habitant et par an), abritant des milliards d’espèces vivantes dont seule une infime partie est aujourd’hui identifiée, il joue un rôle essentiel dans l’équilibre thermique, physico-chimique et donc climatique de la Terre.
Les liaisons maritimes, par lesquelles transitent plus de 80 % des échanges commerciaux et 97 % des échanges numériques, alimentent l’économie mondialisée, tandis que l’océan fournit près du tiers des hydrocarbures extraits du sous-sol et que la production d’énergie renouvelable, notamment éolienne, s’y développe de façon rapide.
L’océan, source de craintes ou de rêves, symbole d’aventure et de liberté, est présent dans toutes les cultures avec ses mythes, ses chants, et la création littéraire et artistique lui fait une place importante. L’histoire montre que la mer est au cœur du développement humain mais aussi de la compétition entre les nations.
Enfin, le tourisme maritime, littoral ou de croisière, et les sports nautiques se sont considérablement développés, illustrations de la démocratisation et de l’universalisation des loisirs, mais aussi de la fascination qu’il exerce.
Cependant, cet espace indompté que l’on explore, que l’on utilise ou que l’on contemple, est aussi très sensible à l’activité humaine et nombre de signes nous alertent sur sa fragilité, sur son avenir et, par là-même, sur celui de l’humanité.
Nous nous trouvons donc, en tant que partie de cette humanité et en tant que Nation, confrontés à une série de défis maritimes majeurs.
Le défi environnemental
Le changement climatique modifie le comportement et l’équilibre de l’océan : l’élévation de sa température et de son niveau, son acidification, la modification de ses courants ont en retour des conséquences planétaires. La pollution, plastique notamment, en provenance des terres habitées, et la pêche non contrôlée, c’est-à-dire sans une approche scientifique raisonnée des prélèvements, menacent la survie de plusieurs espèces. Le transport maritime est une source significative d’émission de polluants et de gaz à effet de serre. Des objectifs ambitieux d‘élimination de ces émissions ont été établis par la communauté internationale. Ils nécessiteront des investissements gigantesques, intellectuels, humains et financiers.
L’attractivité des ressources sous-marines, et notamment de potentielles ressources minérales dans les grands fonds ou de ressources biologiques et génétiques encore à découvrir, attisent les ambitions d’exploitation. Seule une approche internationale et multilatérale, au sein d’institutions mondiales, peut permettre de construire un cadre de gouvernance afin d’empêcher la dégradation du milieu marin, affirmer le statut de patrimoine de l’humanité, donner un cadre à l’exploitation des richesses, protéger les écosystèmes et la biodiversité, garantir un juste accès aux ressources, réglementer la navigation maritime et limiter son impact environnemental.
Ainsi, enjeux diplomatiques et scientifiques sont étroitement complémentaires, la pertinence scientifique apportant à la voix diplomatique force et crédibilité. Enjeu d’influence, la science est également un irremplaçable outil de dialogue et de partage.
Dotée du deuxième plus grand espace maritime au monde, disposant d’une recherche océanographique brillante et reconnue, bénéficiant d’un réseau diplomatique des plus actifs et d’une longue tradition juridique, la France a une responsabilité particulière dans l’élaboration de nouvelles règles acceptées de tous.
Le défi stratégique
La liberté de circulation en mer et l’accès au littoral sont à la base du droit international et de l’économie mondialisée. Ils sont menacés par la piraterie et le terrorisme et par la volonté de certains États de territorialiser des espaces maritimes et d’en interdire l’accès. Les intérêts économiques situés dans les zones sous juridiction peuvent faire l’objet d’attaques plus ou moins déclarées, comme la pêche illégale ou la cybercriminalité. Les infrastructures sous-marines, câbles de communication ou oléoducs, peuvent faire l’objet de visées hostiles dans le cadre de stratégies hybrides. Enfin, l’application du droit international, notamment en matière de lutte contre la pollution et les trafics en tous genres, ne peut être garantie sans forces navales agissant dans le cadre de la défense de la souveraineté des États et des traités.
Pour la France, la Marine nationale, deuxième au monde pour l’étendue de son éventail de moyens et de technologies dont une composante océanique de dissuasion nucléaire, ne peut toutefois, par la faiblesse quantitative de ses seuls moyens conventionnels, défendre la souveraineté française sur un espace de 11 millions de km². Elle doit pour cela, s’appuyant sur notre diplomatie et sa présence militaire sur tous les océans, être moteur d’alliances régionales de sécurité.
Le défi alimentaire
Selon la FAO, les aliments aquatiques ont fourni en 2021 20 % des protéines alimentaires et nourri 3,5 milliards d’habitants dans le monde. La consommation pourrait encore augmenter de 12 % d’ici à 2032, et, à niveau de consommation par habitant stable (de l’ordre de 20 kg par an en 2022), de 22%, d’ici à 2050, compte tenu de l’augmentation de la population.
Plus de 70 % des prises suivies par la FAO proviennent de stocks exploités durablement. Cependant, il existe une diversité suivant les espèces et la surpêche, la pêche illicite, non déclarée ou non réglementée, continuent à menacer certaines ressources et à détériorer les conditions d’existence de populations côtières.
En France, le secteur de la pêche est en décroissance malgré l’augmentation de la consommation, et son déficit commercial se creuse d’années en années. Malgré une recherche océanique et halieutique des plus performantes, ce secteur connait des difficultés structurelles et les habitudes alimentaires conduisent à la fermeture de pêcheries tandis qu’augmentent les importations, notamment de pays de l’Union européenne.
Le défi industriel et technologique
Le transport maritime achemine annuellement plus de 11 milliards de tonnes de marchandises et sa croissance est en corrélation directe avec celle de l’économie mondiale. Le transport de matières premières, de matières énergétiques et de produits industriels et domestiques se fait par mer. La sécurité des approvisionnements maritimes est un enjeu stratégique majeur, tant pour l’équilibre et le développement du monde que pour la sécurité et la souveraineté des nations. Il en est de même de la disponibilité et de l’efficacité des grands ports.
Entrainée par le troisième transporteur mondial de conteneurs (en passe de devenir un géant de la logistique multimodale), excellant dans nombre de secteurs spéciaux, dont l’activité hautement stratégique de la pose de câbles, la flotte marchande française ne se classe pourtant que 12e en Europe et 22e dans le monde. Il y a donc urgence à s’interroger sur la sécurité de nos approvisionnements, notamment énergétiques, en cas de crise internationale majeure. Les réflexions sur la flotte stratégique tardent à se concrétiser. Par les ports français, longtemps sclérosés et faute de liaisons terrestres efficaces, ne transite qu’une faible part des approvisionnements nationaux qui préfèrent emprunter les ports belges, néerlandais ou espagnols. Une modernisation, déjà en route pour les plus grands, s’impose.
Mais le transport maritime est également responsable de l’émission de près de 3 % des gaz à effet de serre d’origine anthropique. La communauté internationale s’est fixé l’objectif ambitieux de supprimer ces émissions à l’horizon 2050. Une véritable révolution technologique et industrielle est en cours, équivalente par son caractère novateur, au remplacement de la voile par la vapeur, mobilisant propriétaires et exploitants, constructeurs de navires, motoristes, énergéticiens, laboratoires de recherche et, bien sûr, pouvoirs publics.
Au cours des cinquante dernières années, la construction navale mondiale s’est déplacée de l’Europe vers l’Extrême-Orient qui détient aujourd’hui plus de 90 % de la production en volume, entraînant de graves difficultés et de nombreuses fermetures de chantiers européens. En France, la construction navale civile s’est redressée en misant sur la haute technologie des navires les plus complexes. La révolution qu’annoncent les objectifs de décarbonation et la numérisation du transport maritime est une occasion, pour les compagnies maritimes comme pour la construction navale nationales, de reconquérir des parts de marché si une réglementation adaptée attire les investissements nécessaires. Cette reconquête devrait bénéficier du dynamisme de la recherche et des entreprises dans l’intelligence artificielle et la conception de systèmes autonomes.
Le défi culturel
La mer, source de puissance et de prospérité pour ceux qui osent s’y aventurer, a aussi de tous temps nourri rêves, mythes et fantasmes, deuils et terreurs. Des mythes bibliques (le déluge, la baleine) aux romans d’aventures du XIXe siècle, la mer a toujours fasciné. Il n’est de puissance maritime sans culture maritime qui se transmet de génération en génération.
La culture maritime qui s’enrichit chaque jour d’exploits sportifs, de nouvelles aventures, d’images bouleversantes et de réalisations humaines exceptionnelles, s’appuie sur une histoire et un patrimoine. Cette histoire doit être sans cesse réanalysée à la lumière de nouvelles découvertes qui enrichissent un patrimoine matériel et immatériel qu’il faut protéger, présenter et exploiter. Elle doit aussi s’enrichir des échanges intellectuels entre les cultures maritimes des autres pays.
L’histoire maritime, y compris celle de la course aux découvertes, a souvent été vue comme conflictuelle, remplie d’affrontements militaires, politiques, économiques, religieux. Pourtant, cette histoire est unique et est le patrimoine de toutes les nations, notamment européennes qui ont été longtemps les maîtresses des mers. C’est en puisant dans cette histoire commune, que l’on pourra construire une vraie conscience maritime française et européenne.